Rêver à l’âge des extrêmes. Pour une lecture historique des transcriptions de rêves
Cet article se fonde sur des transcriptions de rêves en tant que lentille propre à permettre l’étude du vécu des individus à l’âge des extrêmes. Il conteste une interprétation psychanalytique unilatérale selon laquelle le contenu du rêve manifeste se réduit à une dissimulation des désirs subconscients (sexuels ou agressifs) du rêveur. Mais il rejette aussi une lecture purement « politique » des récits de rêves qui traiterait comme insignifiants tous les souvenirs de la vie personnelle du rêveur. Les catégories freudiennes de la condensation, du déplacement et du refoulement peuvent en fait fonctionner dans les deux sens : du personnel vers le politique, et inversement du politique vers le personnel. Un parricide commis en rêve peut ainsi dissimuler le désir de kidnapper un homme politique abhorré – et vice versa. Je fais également valoir qu’à l’âge des extrêmes, le rêve et l’activité de transcrire des rêves ont été des actes potentiellement subversifs, au gré desquels les limites de ce qui était publiquement dicible furent souvent transgressées. Quelques exemples développent ces éléments. Ils sont extraits de transcriptions de rêves rédigées vers 1980 par l’auteur allemand Heinar Kipphardt, d’une anthologie de rêves du IIIe Reich élaborée par Charlotte Beradt dans les années 1930 et publiée dans les années 1960, enfin d’un carnet de rêves écrit par une Anglaise d’âge mûr à l’automne 1939 et conservé dans les archives de Mass-Observation.
Mots-clés
- transcriptions de rêves
- interprétation psychoanalytique ou politique
- IIIe Reich
- guerres mondiales
- terrorisme des années 1970